Intention
de réalisation (Par Pierre WOLF, réalisateur indépendant)
Ce n'est pas une montagne
très élevée et ce ne sont pas des
caricatures de « sauvageons ». Le Mont Aiguille
culmine dans le Vercors à 2080 mètres
d'altitude. Certes, l'ascension se termine par 300 mètres
de falaise abrupte mais la voie reste relativement aisée.
En un mot, gravir le Mont Aiguille
ne constitue pas un exploit hors du commun. Pas plus
finalement que de trouver sa place dans la vie. Mais c'est bien là
toute la question: les adolescents de l'EREA, établissement
spécialisé à côté
de Grenoble dans l'accueil des élèves
en très grande difficulté scolaire, ont
plutôt du mal. Repérés dès
l'école primaire, ballottés de classe
en classe, toujours derniers, souvent perdus, parfois
violents, ils sont dans cet internat pour passer un
CAP à l'issue de la troisième. Pour ces
enfants, même si la montagne n'est pas l'Everest,
l'ascension est compliquée.
C'est cette marche
que j'ai envie de filmer: une marche vers le
sommet du Mont Aiguille, une marche vers l'âge
adulte, un moment où les défis se précisent,
sans que l'on sache jusqu'où on pourra aller. Mais si la métaphore
fonctionne évidemment bien, je n'ai pas envie
de filmer un défi sportif ou une aventure à
visée éducative pour déliriquants
récalcitrants. Ce sont bien ces jeunes qui m'intéressent,
leur univers, leurs interrogations, leurs espoirs, leurs
faiblesses et leur façon de faire avec, face
à la réalité qui se dresse comme
une montagne: trouver une place, un boulot, un avenir,
alors qu'ils se savent partir avec un handicap.
Parmi
ces adolescents, trois, plus visiblement que les autres
entre l'enfance et l'âge adulte, seront les personnages
principaux de ce filin.
- K a presque 16 ans et rêve de devenir
footballeur.
Son diabète qui nécessite plusieurs injections
par jour, l'avis de l'éducatrice à laquelle
un juge l'a confié, mais aussi ses capacités
en décideront peut-être autrement en dépit
de ses qualités reconnues.
- J a 14 ans. Il est originaire d'un petit village
reculé du Vercors. C'est un adolescent gentil
et perpétuellement joueur, qui pratique le rugby
au niveau départemental. Il trouve cependant
que cette école est une vraie prison.
- H, enfin, est une furie. Originaire d'une cité
de Grenoble, elle se bat et jure plus que la plupart
des garçons. H marque son territoire, attaque
pour se défendre, mais pour grimper, l'armure
peut se révéler trop lourde.
Voilà,
ce n'est pas une ascension sensationnelle,
pas plus que ces jeunes ne sont des caricatures de «kaïras
des cités) comme la télé les aime. J'aime filmer les gens ordinaires confrontés à
des moments communs. On peut dire commun, on peut dire universel.
Il me semble que le beau et l'émouvant surgissent
toujours de là : la façon singulière
dont chacun va passer par un chemin emprunté
par des milliers d'hommes avant lui. A fortiori dans
une société qui vend la célébrité
et l'extraordinaire en linéaire de supermarché.
Ce sera donc le portrait sensible des trois adolescents
face à une montagne, dans toutes les implications
de la métaphore.
Pour
donner corps à cette non-linéarité
du raisonnement, pour éviter le psychologisme
explicatif, j'ai envie de construire un film dans lequel
l'essentiel reste dans les interstices.
Il
s'agit d'abord d'opter pour un récit de l'ascension
fractionné. La semaine durant laquelle les trois
personnages seront au pied du Mont Aiguille et durant
laquelle ils l'escaladeront constituera une sorte de
squelette du film, dans lequel viendront s'insérer
des moments tournés antérieurement ou
postérieurement avec chacun des trois personnages,
souvent dans un autre lieu, une autre situation. Ce
jeu de sauts dans le temps et les situations trouvera
une cohérence grâce au squelette de l'ascension
qui, plus classiquement, inscrira une certaine progression
narrative. Je pense à K que l'on pourra suivre
au Stade Vélodrome avec son oncle et dans les
instants qui suivront la fin du match, sur le chemin
du retour, je pense à J dans son village en compagnie
de ses parents, je pense à H chez elle, dans
sa tour. Mais je frôle le cliché en disant
cela, pour aller plus loin, il faut repérer plus
avant.
L'enchaînement
de ces petits éclats de leurs existences permettra
de les rencontrer, de partager quelque chose avec eux,
de les comprendre, sans les expliquer, sans les disséquer.
L'échec scolaire, les difficultés à
trouver une place dans la vie resteront ainsi hors du
cadre, ailleurs, présents comme une donnée,
des éléments de la vie de ces jeunes mais
pas comme l'anormal, la souffrance à expliquer
et à comprendre. Cette forme, je l'espère,
tirera leurs histoires vers l'universel... d'abord ce
qui nous est semblable pour mieux comprendre la spécificité
de ce que tu vis.
A
propos des cadres et de l'image, il y a évidemment
bénéfice à tirer des paysages,
sans tomber dans la carte postale, pour exprimer que
la vie est une montagne. Je pense à une alternance
entre des plans au pied, plutôt de loin, des plans
très photographiques, de ces jeunes dans « leur
camps de base», en marche d'approche, sur la falaise
mais aussi par exemple au stade vélodrome d'un
côté, et de l'autre les séquences
tournées à l'épaule au cours de
l'ascension et des moments de vie quotidienne évoqués
plus haut. Je pense aussi à des plans « vides»
de la nature ou de la ville, des lieux où se
déroulent leurs vies. Cependant, même à
l'épaule, on cherchera la fluidité, enfin
on s'évitera absolument le type de cadre «
reportage, documents d'actualité »... ça
va presque sans dire. |